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Interview de Yann Arthus-Bertrand

Notre journaliste, Paul Gazut, a interviewé le célèbre photographe reporter engagé pour la planète Yann Arthus Bertrand. Le confinement ? L’état d’esprit ? L’après ? Yann Arthus Bertrand répond à toutes ces questions en détails “à 15 m de haut, dans une cabane, dans les arbres”.


Paul Gazut : Yann, comment c’est passé votre confinement ?


Yann Arthus-Bertrand : C’est la question que tout le monde pose hein ! (rire)

Moi j’ai fait un confinement de privilégié à la campagne avec un peu un sentiment de culpabilité pour mes copains qui étaient à Paris avec leurs enfants, enfermés dans des appartements, ou pour les gens qui travaillaient et risquaient leur vie pour sauver la vie des autres, ou tous les gens qui travaillaient : des caissières de supermarché jusqu’au livreur. Donc voilà, un peu un sentiment de culpabilité mais en même temps, deux mois incroyables dans un décor agréable,...j’habite en bordure de la forêt de Rambouillet donc je me suis réveillé il n’y avait pas une feuille aux arbres, et maintenant il y en a partout ! J’ai vu la nature s’ouvrir [...] Je faisais la cuisine tous les jours, moi qui n’avais jamais fait de cuisine de ma vie ! J’ai adoré faire ça, mais ça m’a pris beaucoup de temps, avec l’application Marmiton ! (rire) J'ai appris à faire du pain, à faire des rouelles de porc,...moi qui suis végétarien, j’avais de la viande au congélateur que j’ai donnée à mes enfants ! [...] J’ai beaucoup travaillé avec les gens de ma fondation en Zoom, en Teams, en WhatsApp, en FaceTime,...on a passé notre temps à faire des interviews, à télétravailler sur le téléphone ou l’ordinateur. J’ai rangé chez moi, j’en ai profité. J’en ai profité aussi pour lire et regarder des vidéos que je voulais regarder depuis longtemps.


P : Quels sont les sentiments qui vous ont traversé durant cette période ?


Y : Alors, quand on regardait la télé le soir, et qu’on voyait le nombre de morts, tous les jours, ça fait réfléchir un petit peu à la fragilité de la vie, et peut être se dire que, le plus beau cadeau que tu as, la chose la plus précieuse, c’est ta vie et celle des gens que tu aimes. On prend des précautions pour nous et les gens qu’on aime, on appelle :”Est-ce que ça va ?” “Vous avez des malades ?”...c’est vraiment une inquiétude générale [...] Après, un sentiment aussi de “ral-le-bol” un peu, de télé, d’experts, de contre-experts, de gens qui savaient tout, qui savent pas,...c’est vrai qu'ils savaient plus très bien quoi dire à la télé, ils étaient un peu perdus. Le sentiment aussi de quelque chose que personne est bien capable de comprendre : le virus on voit bien qu’on est pas capable de savoir s’il est dangereux, pas dangereux, s'il va s’arrêter...

C’est intéressant de voir qu’on est tous un petit peu paumés et que même les experts l’étaient aussi…

Et puis surtout, peut-être que pour un écolo comme moi, de voir un moment incroyable où l’on entend plus les avions, où il n’y a plus de voitures, on entend les oiseaux,...


P : Est-ce qu’on peut dire que la nature reprend ses droits ?

Y : Ouais, mais c’est ce que tout le monde dit, mais, la nature a toujours été là, je pense que les arbres poussent pas mieux aujourd’hui qu’avant; peut-être qu’on emmerde moins les animaux sauvages ! C’est vrai qu’autour de chez moi j’ai vu des cerfs et des biches, des chevreuils j’en vois un peu plus, mais pas tant. Mais il y a beaucoup d’animaux qui vivent avec les hommes, on ne s’en rend pas compte, comme les sangliers par exemple, qui vont dans les villes, mais les sangliers, les renards,.. sont toujours autour de la vie des hommes, Ces animaux qui se nourrissent un petit peu avec nos déchets. Donc ils sont toujours là, cachés dans l’ombre. Mais, est-ce que la nature reprend ses droits ? Le WWF estime qu’on a perdu 60% du vivant en 40 ans, c’est une phrase qui est très forte. Ca veut dire que notre façon de vivre, de consommer est en train de détruire la Terre. Quand je suis né on était 2 milliards, aujourd’hui on est 8 milliards, ma façon de vivre n’est pas la même que celle de mon père : on consomme beaucoup plus, donc on consomme la Terre, on consomme les ressources de la nature, et, bien sûr, aujourd'hui la biomasse des vertébrés, soit le poids de tous les vertébrés sur la Terre dont on fait partie, c’est 98%, l’Homme et ses animaux domestiques ! C’est dingue ! Il n’y a plus que l’Homme sur Terre ! Et on vit dans et espèce de déni collectif en croyant que ça va continuer comme ça pour toujours, alors que les scientifiques nous disent “attention on va vers une 6ème extinction” donc c’est vraiment incroyable notre incapacité à changer notre façon de vivre !


P : Vous avez dit sur France Inter, être un “optimiste très inquiet”. Est-ce que ces 2 mois ont nourri votre optimisme ou votre inquiétude ?


Y : Optimiste, pessimiste,...tant que tu es en vie,...à 74 ans je suis un peu plus près de la mort que toi, et je ne suis pas plus pessimiste je pense. Je pense simplement que ça dépend de comment j’ai dormi, s’il y a des jours où j’ai bien dormi, je suis optimiste, et quand j’ai mal dormi je suis pessimiste, comme tout le monde avec les problèmes de la vie ! Mais c’est vrai qu’être optimiste aujourd'hui, sur notre avenir - ça va être un peu violent mais - c’est un peu con. Tous les chiffres sont quand même extrêmement mauvais. Donc se dire “on trouvera la solution”, “faut pas s’inquiéter”, c’est vivre dans ce déni, où on ne veut pas croire ce qu’on sait tous. Et c’est pour ça que la petite Greta Thunberg, cette suédoise, qui a 16 ans, par sa radicalité, m’a fait réfléchir, et je pense que c’est elle qui a raison. Aujourd’hui, il faut écouter les scientifiques, basta !

Et faire tout ce qu’on peut pour changer notre façon de vivre. Et c’est très compliqué, parce qu’on est prisonniers de la croissance [...] qui permet les emplois, qui permet de garder notre niveau de vie. Et il va bien falloir que l’on vive une espèce de décroissance, accepter et préparer par celle qu’on a maintenant qui est trop violente.


P : L’humain est bien sûr un être très intelligent mais il veut toujours plus de pouvoir, de production, il veut toujours plus avoir.


Y : Et bien ce n’est pas vraiment ça, c’est que, je pense que l’Homme a cette faculté de développer [...] on vit beaucoup plus vieux, on a domestiqué la nature, il y a plus de démocraties, d’éducation,...il y a beaucoup de choses qui vont beaucoup mieux ! La médecine : on a découvert beaucoup de choses; on a une capacité d’exploiter le pétrole,...ça change la vie tout ça ! Mais en même temps, on sait que c’est en train de détruire la vie sur Terre ! Et je conseille d’ailleurs de regarder les vidéos de Jean-MarcJancovici, qui est un polytechnicien, qui parle très bien de ça, c’est vraiment celui qui en parle le mieux, c’est vraiment génial, un polytechnicien qui parle de la décroissance, du pétrole, de la vie d’après, et il a une vision un peu éblouissante.


P : Est-ce que vous pensez que ce confinement aura changé les mentalités, est-ce qu’il aura permis de repenser notre façon de vivre ?


Y : Je ne sais pas, je pense en tout cas que, les gens qui ont vécu 2 mois enfermés avec leur femme, leurs enfants, les connaissent un petit peu mieux ! (rire) Que c’était une épreuve aussi ! Hier j’ai été à ma fondation et des gens m'expliquaient qu’ils avaient vécu avec leurs parents pendant 2 mois : ils ne l’avaient jamais fait sans sortir de leur appartement ! Donc bon, on voit les défauts, les qualités, ça apprends à faire plus attention aux autres, quand on vit les uns sur les autres. En tout cas, moi ce qui m’inquiète beaucoup c’est la crise économique qui est devant. Je voyais ce matin que Air Canada avait licencié 60% de son personnel, je pense que c’est ce que va faire Air France, ce que va faire Airbus,...et ces gens qui ont besoin de cette croissance, ou même ceux qui vendent des voitures. Ca va être compliqué pour tout le monde, et ça va faire beaucoup de chômage je pense.


P : Pensez-vous que la France s’en relèvera ?


Y : Bien sûr. Je pense aussi qu’elle se relèvera si on fait tous des efforts. Il ne faut pas qu’on demande aux autres de faire pour nous et c’est pas l’Etat qui est là, bien sûr pour nous aider, qui trouvera la solution. Non, c’est nous, le tout de c’est de voir ensemble. Je pense qu’il faut qu’il y ait une union sacrée dans la politique. Je crois qu’il faut qu’on ait confiance en les gens qui nous dirigent, et c’est quelque chose que l’on a pas beaucoup en ce moment. D’avoir confiance et essayer chacun de faire sa part.


P : Est-ce que vous avez changé certains détails de votre vie depuis le 11 mai ?


Y : Non. Je ne pense pas. Je fais beaucoup plus de vidéos-conférences, c’est sûr, comme en ce moment pour cet interview ! (rire)


P : Est-ce que vous pensez que grâce à ce confinement et grâce à cette crise sanitaire, la vidéo-conférence va s’installer de plus en plus dans le monde professionnel, au lieu de prendre l’avion par exemple ?


Y : J’ai arrêté de prendre l’avion mais il n’y a pas longtemps, il y a 6 mois, donc c’est récent. Et je me dis souvent : “mais pourquoi on ne ferait pas plus de vidéos-conférences ?” C’est évident. On a découvert une nouvelle façon de travailler et de se parler, c’est sûr. Je voyais hier, Emmanuel Macron et Angela Merkel qui se parlaient en vidéo, ce n’est pas la peine de prendre un avion avec 50 personnes dedans (parce qu’ils ne se déplacent pas tout seul ces gens !) pour aller se parler alors qu’ils pourraient le faire en vidéo-conférence. Oui, je pense que ça va beaucoup changer.


P : Et est-ce que vous pensez que le télétravail va prendre plus d'ampleur ?


Y : Je ne sais pas, le télétravail ce n’est pas la même chose que travailler avec les gens. Ca dépend le travail que l’on fait ! Si tu es boulanger, maraîcher, mécanicien...tu ne peux pas faire de télétravail ! Il y a, dans les dépêches de la fondation, un article sur les métiers qui ne servent pas vraiment à grand chose, je pense qu’il y a beaucoup de métiers qui servent pas à rien. Et sans doute, dans beaucoup de gens qui travaillent autour de nous, il y en a qui ne font pas forcément quelque chose de très utile. Je ne vais pas les citer mais on a développé une administration, des papelards,...des gens qui ne servent pas à grands chose et qui nous empêchent d’avancer je pense.


P : Alors il faudrait repenser toute notre façon de vivre ?


Y : Oui, oui. Notre façon de s’organiser, notre façon de diriger le pays,...oui j’en suis certain. Tout le monde en est certain, même au plus haut niveau, aujourd’hui on a compris qu’il fallait changer différentes choses. Mais c’est difficile de changer une administration dans les compagnies, dans les sociétés et dans l'État. Partout.


P : Vous êtes le fondateur de Good Planet, pouvez-vous nous en parler en quelques mots pour ceux qui ne connaissent pas votre association ?


Y : Alors, c’est une fondation, reconnue d’utilité publique, donc quand on y fait un don, on peut le déduire de ses impôts, c’est important. C’est une fondation qui au départ avait été créée pour faire de la compensation carbone solidaire [...] On fait des réservoirs de biogaz en Inde, par exemple, qui permettent à des familles indiennes très pauvres d'avoir de l’énergie gratuitement. [...] On mélange, de la merde d’animaux et des déchets agricoles, ça fait du gaz, ce qui permet de faire la cuisine. On est vraiment les leader français là-dessus, et puis on fait beaucoup de choses. Par exemple, dans toutes le écoles de France, 17 posters sur les ODD (Objectifs de Développement Durable), sur le droit des femmes, sur la biodiversité, sur la forêt, la pauvreté,...[...] On a un endroit à Paris qui s’appelle la Fondation GoodPlanet où, gratuitement - j’insiste bien là-dessus - on reçoit des gens, et où il y a une école de cuisine, des salles de cinéma, il y a de la vidéo, des ruches géantes, des conférences, il y a même un escape game...donc on fait énormément de choses et on a beaucoup de bénévoles. C'est un endroit où règne la gentillesse et la bienveillance. Et j’espère d’ailleurs qu’on va pouvoir rouvrir bientôt.


P : Vous avez des bénévoles qui travaillent avec vous, est-ce que vous savez quelles ont été leurs motivations pour vous rejoindre ?


Y : Simplement le fait de faire quelque chose. Quand tu vois ce qu’il se passe en ce moment tu te dis “Mais moi, qu’est-ce que je peux faire ?” Et rejoindre cette organisation comme beaucoup d’autres, d’aider les autres dans des fondations qui essayent de vendre des qualités vertueuses, c’est important. Et je pense que agir rend heureux. Dans la vie, plus tu donnes, plus tu reçois. J’en suis persuadé.


P : Est-ce que vous vous êtes limité dans vos futurs projets, est-ce que vous avez pensé à la nouvelle perspective pour GoodPlanet ?


Y : Là on fait un film qui est la suite du film “Home” qu’on a fait il y a une dizaine d’année, pour lequel on a décidé de ne plus prendre l’avion, de faire travailler des dronistes dans le monde entier. Donc aujourd’hui, même à la fondation, on réfléchit à la façon de se déplacer, pour avoir le moins d’impact avec notre vie quotidienne sur la Terre.


P : Vous parlez de drones. Est-ce que ça a changé quelque chose pour vous ?


Y : Travailler en drone ça coûte beaucoup moins cher que l'hélicoptère, c’est beaucoup plus facile, il y a des dronistes un peu partout, donc bien sur aujourd’hui on travaille pratiquement plus avec l’hélico.


P : A propos de l’actualité, Bolsonaro a pris des mesures radicales en accélérant la déforestation de plus de 50%, qu’en pensez-vous ?


Y : Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?! En ce moment il y a un espèce de repli sur soi qui met en avant le populisme : tous ces présidents, Trump, Bolsonaro,...Je trouve qu’aujourd’hui on va vers une montée du populisme qui est très dangereuse : on élit pas les gens parce qu’ils sont intelligent, brillant,...on les élit parce qu’ils sont populaires, parce qu’on les aime bien et qu’ils savent parler.


P : Pour finir, quels conseils pourriez-vous nous donner pour les les jeunes qui souhaitent s’investir dans la protection de l’environnement et agir concrètement comme Greta ?


Y : Aujourd’hui, c’est ma génération qui est responsable de ce qui est en train d’arriver, donc je n’ai pas beaucoup de conseils à vous donner, mais c’est vous qui allez les trouver tout seuls. Tous les conseils, vous les connaissez bien, c’est de dépenser moins d’énergie, etc. Mais je pense que le fait de se réunir, d’être en colère,... vous avez le droit de l’être. Et de manifester par millions dans la rue, de refuser d’aller à l’école une journée par semaine, c’est un geste fort qui fait réfléchir les adultes. Mais voilà, il faut que ce soit encore plus que ce que vous faites aujourd’hui. Il ne faut pas avoir peur de le faire, de dire franchement ce que vous pensez. C’est vous qui allez subir demain tout ce qu’on a fait. Et peut-être tout simplement dans votre école, insistez, refusez de manger si ce n’est pas bio [...] C’est déjà des choses que vous pouvez faire facilement parce que c’est dans votre école [...] Et vous aurez beaucoup plus de poids que moi sur une vidéo si vous décidiez de ne plus manger. Il faut être convaincu. C’est un combat, on prend des coups aussi, lorsqu’on n’est pas entendu, il ne faut pas avoir peur d’en prendre. Et dans la vie, c’est bien de se battre. L’autre conseil que je donnerai, c’est de choisir un métier utile. D’aller dans des filières où l’on sait que ce que l’on va faire va être utile à l’humanité.


P : Donc vous conseillez aux gens de se diriger vers le bio, mais tous n’ont pas les moyens, alors comment faire ?


Y : Il faut arrêter avec cette histoire. On mange de la viande chère, on achète des téléphones chers...Il ne faut pas toujours aller vers le moins cher. Aujourd’hui le lait est acheté 0,30 c alors qu’il devrait être à 0,45c. Il y a des paysans qui se suicident, qui partent travailler très tôt le matin en perdant de l'argent ! [...] Donc il faut manger d’une façon différente. Alors oui, il y a des gens qui ne peuvent pas du tout manger bio, je suis d’accord, mais 90% des gens peuvent le faire ! On paye un peu plus cher, c’est vrai, mais ça vaut le coup. Et dans la vie, c’est important de faire des choses qui sont biens pour les autres. C’est ça la solidarité.

Retrouvez l'intégralité de l'interview en vidéo sur notre Instagram @We_after_ !

Rédaction : Hanaé Eng et Lou Vigué

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